Visitez la
page d'accueil du Cercle des Pays de Savoie
Cercle des Pays de Savoie
[ Précédent | Liste des sites | Stat ]
[ Rejoindre | Aléatoire | Suivant ]
Edité par RingSurf
Livre d'or
Chapitre IV

 

 

Chapitre IV

Du Protestantisme au rétablissement du Culte Catholique à Valleiry.

________

Le XVIè siècle s’ouvrait sur l’Europe comme une brillante aurore prometteuse d’une longue période de lumière.

Ce siècle devait, au contraire, être obscurci par des troubles d’idées et de sombres vapeurs de guerre. Une paix stable ne sera guère possible en notre vieux Continent, surtout depuis le XVIè siècle. La fraternité des peuples fut brisée par les erreurs de cette époque, ses audaces et de profondes divisions de doctrines.

Avant d’aborder l’histoire très abrégée du Protestantisme dans notre région et spécialement dans notre paroisse, il peut être utile d’en indiquer la préparation lointaine en général et, pour Genève, les prétextes sinon les causes toutes prochaines.

La Renaissance et le Schisme d’Occident.

Il s’était produit, dès la fin du XVè siècle, un grand mouvement littéraire et artistique qui fut décoré du nom de Renaissance.

En effet, c’était un renouveau favorisé par la découverte de l’imprimerie qui vulgarisa, d’abord en Italie, puis en France et enfin dans toute l’Europe cultivée, les œuvres de la littérature grecque et latine, et, par l’invention de la gravure, les œuvres de l’art antique.

On ne reprochera pas à la Papauté d’avoir mis une sourdine à ce mouvement. Au contraire, certains historiens font plutôt un grief à Jules II et, plus encore, à Léon X, de n’avoir pas tenu avec assez d’énergie les rênes du contrôle, de la direction objective, comme on dit de nos jours. Car il s’agissait d’une véritable émancipation, de la part de ceux qu’on appelait les “ humanistes ” ou qui étaient des artistes.

L’imprimerie – comme le devait être beaucoup plus tard l’aviation – fut une découverte merveilleuse. Mais l’homme a la tendance d’abuser des choses les meilleures.

L’étude des écrivains païens d’Athènes et de Rome devenue facile, la juste admiration des peintures et sculptures anciennes, suscitant un attrait irréfléchi, remit peu à peu en vogue les formes et les pensées mêmes du paganisme. La beauté incontestable des chefs-d’œuvre fit apparaître trop favorablement le fond de l’inspiration.

De là surgit un relâchement dans les mœurs chrétiennes et, ce qui est pire encore, une atténuation doctrinale. C’était un nouveau péril de perversité qui se présentait sous des couleurs chatoyantes.

Le personnage le plus typique de la transformation de l’autorité doctrinale et morale en ce libéralisme dangereux et sceptique de la Renaissance, c’est le célèbre dilettante hollandais, Erasme (1467-1585), qui visait au rôle de conciliateur universel entre les idées et les hommes.

Le Pape Léon X eut-il conscience du péril ? En toute hypothèse, il paraît certain que l’Europe manqua alors de frein assez puissant pour être retenue sur la pente. Un élan bien parti peut aboutir à une catastrophe. Une façon très intéressante de penser et d’agir, non contenue dans de justes limites, pas assez ou trop bienveillamment contrôlée, peut dépasser le but, produire plus de mal que de bien.

Pourquoi ne pas le reconnaître ? La Renaissance se cristallisa en un retour larvé au Paganisme, précisément par le fait de la faveur qui lui était consentie dans la littérature et les arts.

Or ce sont toujours les idées qui mènent le monde. Sans qu’on l’ait tout de suite prévu, il résulta de la Renaissance une diminution dans la foi, dans les bonnes meurs et la discipline. La Renaissance fut, pour l’Europe, le fourrier du Protestantisme.

D’autre part, le monde chrétien avait été comme désaxé par le Schisme d’Occident.

Pour défendre les droits de l’Eglise qui, en définitive, sont les droits des âmes, les Papes, au cours du Moyen-Age, avaient dû beaucoup lutter contre les rois de France, d’Angleterre et les empereurs d’Allemagne. Ils avaient fini par les amener à récipiscence au sujet de la fameuse querelle des Investitures. Le temporel voulait commander au spirituel, le régir, en disposer librement. C’était méconnaître la constitution divine de l’Eglise et ce fut la gloire de la Papauté – surtout de saint Grégoire VII – de soutenir franchement le combat.

De la capitulation serait sortie une Eglise asservie aux têtes couronnées, dépourvue de toute grandeur, de tout prestige. Mais les princes, soumis en apparence, gardaient une certaine rancune à leurs très légitimes vainqueurs. On continuait à jouer à cache-cache avec le Pape lorsqu’on ne lui faisait pas ouvertement la guerre.

Pour éviter ce qu’il croyait être un plus grand mal, l’un des successeurs de saint Pierre transféra provisoirement son siège à Avignon que Clément VI acheta, en 1348, à la Maison de Provence. Ce provisoire dura 70 ans environ (1809-1377) – la captivité de Babylone !

La Papauté perdit beaucoup à cette combinaison. En tout cela, il n’y avait de content que la France et encore... Du reste, la France d’alors n’était pas la France d’aujourd’hui, une et indivisible, des Alpes à l’Océan, de Dunkerque aux Pyrénées.

L’élection du Pape fut parfois discutée. L’indépendance nécessaire pour y procéder faisait souvent défaut. Il y eut des Antipapes avec un rayon très important de juridiction. Vraiment il faut que l’Eglise soit l’Oeuvre de Dieu pour avoir résisté à toutes ces difficultés intestines.

La Chrétienté en pâtit. Son chef perdit un peu de son auréole de sainteté et de sa force d’autorité. De ce fait, la vigueur de la discipline avait baissé, si ce n’est la croyance. Comme avant la Révolution française, tout le monde soupirait après une réforme. Elle aurait dû se faire en paix et en toute justice. C’était possible.

Mais l’orgueil humain dépasse souvent toute mesure et, lorsque le changement radical vient d’en bas, il risque de s’abîmer dans la boue et le sang. Erasme, dont nous venons de parler, essaya de freiner la voiture. Si sa réputation était immense, il lui manquait la haute sainteté !

Luther était un moine plein de talent. Mais il aurait beaucoup gagné à demeurer humble et à prier davantage. Calvin n’était qu’un idéologue froid, compassé, sévère, ne supportant ni la contradiction doctrinale ni la concurrence politique.

 Passons sous silence les autres noms célèbres de ces dévoyés dont Erasme disait que le dénouement de leurs doutes intellectuels et de leurs perplexités morales se terminait toujours comme dans les drames : par un mariage.

Du talent, il y en a à foison sur les places publiques. De la vertu profonde et sincère, pour en apercevoir, il faut allumer la lanterne de Diogène ou sa lampe électrique...

Quoi qu’il en soit de ces considérations, dans la première moitié du XVIè siècle – favorisé par des causes convergentes dont nous avons tenté de commémorer les principales – le Protestantisme s’ouvrit à deux battants sur l’orgueil, la prétention et l’inconduite, soit de ses premiers apôtres, soit des princes eux-mêmes.

Ceux-ci auraient pu fermer la porte, sauf à jeter hors de l’Eglise et de la société chrétienne les plus ardents brouillons. Charles-Quint y mit toute son âme. Mais, pour l’Allemagne, c’était l’adversaire – quelque chose comme si Napoléon I“ avait voulu imposer la religion catholique aux peuples dont il était le conquérant. Charles-Quint ne fut pas écouté. L’on suivit plutôt les ambitieux roitelets allemands, sauf à les dépasser, le plus tôt possible, par le véritable communisme de la Révolte des Paysans.

L’Europe sera à feu et à sang pendant un siècle et, lorsqu’elle s’apaisera, la moitié aura perdu la vraie foi chrétienne qui repose sur la soumission à un seul Chef suprême non moins que sur la croyance au mystère de la Très Sainte Trinité.

Ne nous étendons pas sur ces réflexions. Passons à l’histoire de la Réforme dans la région genevoise.

 

Le Protestantisme Dans la Région Genevoise

L’historien Haller en fait l’observation : le début du Protestantisme fut, dans cette région, une révolte politique. Genève voulait se libérer de l’emprise des ducs de Savoie qui s’était fait sentir trop lourdement, surtout au XVè siècle,

A cette date, il y avait un prétexte à ce que la Maison de Savoie songeât à se ménager l’autorité à Genève. Car, le 5 août 1401, le Comte Amédée VIII avait acheté, à Paris, de son oncle Odon de Villards, pour le prix de 45.000 livres d’or, le Comté du Genevois. Mais, en réalité, cet acte ne comportait pas des droits de souveraineté sur Genève.

Ce que les Ducs étaient peut-être admis à exiger – de ce fait, et ils ne s’en firent pas faute, c’était le droit au Vidomnat. – Depuis longtemps ils tentaient de succéder aux Comtes du genevois dans cette charge de suppléance à l’autorité temporelle de l’Evêque – Vices gerens domini. L’investiture en fut accordée à Amédée VIII dans la Cathédrale de Saint-Pierre – la famille des Comtes du Genevois se trouvant éteinte.

Il faut, du reste, reconnaître que les Ducs se montrèrent, de tout temps, généreux envers la ville qui, péniblement, avait accepté leur ingérence. Ils la dotèrent, par eux-mêmes ou par leur parenté, de plusieurs établissements de bienfaisance : nous l’avons dit.

Cependant leurs désirs allaient plus haut qu’au simple vidomnat et, au bout de quelques années, ils semblaient être devenus princes de Genève. Ils essayèrent alors d’en usurper le titre, L’Evêque, Pierre Lize, allait céder. Mais, se ravisant, il consulta l’assemblée genevoise. Celle- ci composée de 720 membres – bourgeois et simples citoyens – n’eut qu’une voix pour déclarer (20 février 1420) “ ne reconnaître d’autre maître que l’Evêque, sous l’autorité duquel tous veulent vivre et mourir ”. Cette union du peuple et de l’Evêque fut scellée en une autre assemblée plus solennelle encore, le 19 mai suivant.

L’acte de Rodolphe III, roi de Bourgogne, créant l’Evêque de Genève Prince de l’Empire – titre que l’Evêque Arnold avait jadis, le premier, hautement revendiqué – fut, ce jour-là, l’objet d’une enthousiaste acclamation.

Ceci fait voir que Genève catholique ne fut pas courbée par la violence sous la crosse de son Evêque. Il n’y eut jamais, de la part de celui-ci, ni asservissement ni tyrannie. “ Libres sous la suzeraineté nominale plutôt qu’effective d’un prince essentiellement pacifique dit l’historien protestant Galiffe, les citoyens de Genève en profitaient pour faire un commerce immense et très lucratif qui les conduisit indirectement, en peu d’années, à toutes les prérogatives et à toutes les jouissances de la noblesse féodale ”.

----------

Par malheur, les Ducs de Savoie ne se corrigeaient pas de leur méthode d’intrigues sournoises. Précisément en ce XVè siècle, et au début du XVIè, malgré l’opposition du Chapitre de Saint-Pierre, ils firent parvenir au siège épiscopal de Genève, presque sans interruption, quatre personnages de leur famille : Amédée VIII de Savoie (1444-1451), Jean-Louis de Savoie (1460-1482), Philippe de Savoie (1495-1510) et un autre Jean-Louis de Savoie, lequel, il est vrai, s’acquitta à la perfection de son rôle d’administrateur et de prince du lieu. N’empêche que cette succession s’était trop longtemps maintenue.

Car, au fond, malgré leurs protestations d’attachement, ce que les Genevois aimaient surtout dans leur Prince-Evêque, ce n’était pas tant sa personne que les franchises qu’Adhémar Fabri (1385-1395) avait codifiées et dont tous ses successeurs devaient être les défenseurs.

Mais, pour s’acquitter de cette tâche, c’était une lutte incessante qui s’imposait à leur activité. Afin d’éviter la guerre ouverte contre le Duc, l’Evêque, à l’occasion de questions d’importance secondaire, mettait parfois en veilleuse cette activité. Or, cela, les citoyens de Genève indépendante ne le toléraient pas, bien que se disant dévoués à leur Prince, comme aux beaux jours de 1420. Ils le dirent encore à la veille de leur révolte, en une nouvelle assemblée : “ Depuis plus de 400 ans, la ville de Genève avec ses faubourgs, son territoire et sa banlieue, est sous la pleine et entière juridiction de l’Evêque : le peuple se plaît à reconnaître aujourd’hui, comme l’ont fait ses ancêtres, la domination et la puissance de l’Eglise de Genève et de son Evêque ”.

En d’autres termes, les Genevois se refusaient à subir l’influence de la Maison de Savoie. Il y avait, sans doute, exagération dans leur susceptibilité, autant que de la part du vidomnat qui était, malgré tout, une autorité légitime.

La lutte, amorcée contre cette autorité soutenue normalement par l’Evêque, s’exacerba bientôt en lutte contre l’autorité de celui-ci. De politique, cette lutte devint religieuse et anticatholique. Ce fut réellement remarque Fazy dans son Précis de l’histoire de la République de Genève, p. 188 – l’opposition politique qui donna des partisans à la Réforme, à Genève, beaucoup plus que les abus religieux sur lesquels les citoyens éclairés n’étaient point trompés ”.

D’ailleurs, en pareille occurrence, il se trouve toujours des extrémistes pour orienter la situation vers le pire. S’il y a des naïfs qui ne voient pas où on veut les mener, il y a aussi des meneurs soudoyés ou exaltés qui, pour une vengeance à assouvir, une passion à satisfaire, précipitent le peuple à l’irrémédiable.

Un parti se forma donc à Genève – le parti des Eidgenossen ou Huguenots – qui, groupé sous des chefs audacieux, aspira à rendre Genève complètement indépendante. C’était une utopie. Car l’histoire apprend qu’après s’être dégagé d’une influence, l’on tombe bien vite sous une autre, quelquefois plus encombrante que la première.

C’est ce qui arriva. Mais le train était parti à la dérive : personne ne put l’arrêter. En 1527, les gentilshommes de la Cuiller tentèrent une réaction : leur chef, De Pontverre, tomba percé de coups d’épée à la Corraterie.

Une alliance ou combourgeoisie avec Fribourg avait encouragé à la résistance au Duc de Savoie. Une autre alliance avec Berne, déjà protestante, incita à la révolte contre le Prince-Evêque et le Catholicisme ou Papisme dont celui-ci était le représentant à Genève. Fribourg eut beau se défendre contre cette conclusion. Berne l’emporta et fit prévaloir son ostracisme religieux. C’est souvent par une alliance que se fait le pas décisif vers le bien ou le mal.

Nous n’allons pas, pour le plaisir d’allonger ce récit, citer les noms des chefs révoltés dès la première heure : Froment, Farel, Bonivard, etc. Ce serait, une fois de plus, empiéter sur l’histoire générale de notre capitale de ce temps.

Il est pénible de lire le récit des excès de cette révolution qui, en 1535, bouleversa la ville et successivement ses alentours.

Sous l’impulsion de quelques forcenés, la pègre se rua, un jour, sur les autels du culte catholique. La Messe fut brutalement interrompue et les cierges incandescents lancés contre les murs du sanctuaire. On jeta les Saintes Reliques au vent ; des chiens, des mulets furent amenés dans les églises. L’adorable Victime du Calvaire leur fut offerte en pâture. Mais, racontent des contemporains, des miracles éclatèrent et, à la vue de plusieurs, les Saintes Hosties montèrent au ciel.

La Cathédrale fut témoin de ces horreurs, le 5 août 1535, jour où l’on célébrait l’Octave du Patron, saint Pierre-ès-Liens.

Dès le 14 juillet 1534, Pierre de la Baume, 92 évêque de Genève, accompagné des Chanoines de Saint-Pierre et du Chapitre des Macchabées, avait abandonné, pour n’y plus revenir, sa ville épiscopale qui devait se livrer, plus tard, à Calvin.

“ Ce cortège attristé sortit du palais épiscopal par un passage, au pied du mur des fortifications. De là, il se dirigea, par le pont du Rhône, vers la route de Gex et de la Faucille. ” – Note communiquée par M. Falcy. Ce n’est que dans les premiers jours de 1536 que le vénérable Chapitre célébra les Saints Offices à Annecy, tout d’abord dans l’église paroissiale de Saint-Maurice. Il acquit ensuite la propriété de l’église Sainte-Croix ou, actuellement, de Saint-François.

La résidence de l’Evêque de Genève à Annecy n’y fut établie définitivement qu’en 1568.

Les chroniqueurs se posent parfois des questions. Leur réponse n’est pas toujours une affirmation. C’est, le plus souvent, un simple doute qui est émis. Mgr de la Baume n’aurait-il pas mieux agi en demeurant à Genève, malgré le péril, jusqu’à sa condamnation à l’exil ou à la mort ?

La résidence des pasteurs au milieu des fidèles est d’un grand soutien pour ceux-ci. D’autre part, une injuste condamnation amène ordinairement une réaction assez forte pour qu’elle triomphe un jour. Et puis, si l’on fait front, n’y a-t-il pas des chances que l’ennemi s’arrêtera ? Si, au contraire, on fuit devant lui, il avancera sans peine.

Pour mon compte, j’ai cru surprendre, un jour, de la part d’un Protestant scientiste de Genève, une sorte de regret au sujet de ce départ précipité de l’Evêque, comme si ce fut pour lui-même une mauvaise excuse...

L’historien Gonthier (T. I, p. 406) observe que ce qui contribua, en grande partie, au succès de la Réforme à Genève, ce fut l’exode de tous les hommes d’envergure qui, par fidélité à leur Prince-Evêque, se retirèrent, les uns à Ferney, d’autres à Gex, d’autres encore – et ce fut le plus grand nombre – à Annecy qui commença, dès lors, à prendre de l’importance.

Affolée par la persécution, la grande majorité du peuple genevois fléchit et tomba. Presque toute la partie saine avait suivi son Clergé dans l’émigration. Un petit noyau de fidèles demeura dans la cité.

Ce sont des femmes qui montrèrent le plus d’attachement à l’antique croyance. Quelques-unes – Jeanne Petermann, Françoise La Droblière, Jeanne Corajod, de l’Hôtel du Lion-d’Or, Jeannette Pernet – firent des professions de foi dignes des premiers siècles de l’Eglise.

La colonie étrangère qui, sur l’appel ou le chaleureux accueil des Novateurs, se transplanta à Genève, venue surtout de France et d’Italie, parvint bien vite à s’emparer du pouvoir. Elle se montra farouchement hostile à la religion catholique, de 1586 à 1798. Pendant un siècle et demi, de 1536 à 1679, on ne put célébrer la Sainte Messe à Genève que dans des caves.

Ainsi il fut fait, en 1579 et 1580, dans la famille Corajod. En 1597, Saint François de Sales, sous un déguisement, officia dans la cave de l’Hôtel de l’Ecu de France. En 1640, les émissaires du Consistoire rapportent que la messe a été célébrée dans la maison du syndic Sarrasin. Un autel fut découvert, en 1659, dans un appartement des rues Basses, entre le Molard et la Fusterie.

La chaîne traditionnelle de la foi catholique ne fut donc jamais entièrement brisée dans la capitale de notre contrée, malgré les entraves de la persécution.

-------------

Jetons maintenant un coup d’œil sur les prouesses huguenotes aux alentours de Genève. Nous parlerons ensuite de Valleiry.

Dès 1536, les sept églises paroissiales de la ville retentissaient de la voix des prédicants. La Cène était distribuée autour d’une table de marbre. La Bible était déclarée la seule règle de la foi ; le principe de l’autorité religieuse était détruit, l’insurrection glorifiée, la force brutale victorieuse et la justice anéantie.

Les mœurs avaient beaucoup perdu à cet état de choses. Genève était devenue une sentine de débauche. Un peu plus tard, Calvin, venu pour mettre de l’ordre, enlisera dans la haine du Pape et le mépris de la Tradition les citoyens terrifiés. Il donnera au Protestantisme genevois cette forme compassée, rigide, austère en apparence, qu’il gardera jusqu’au milieu du XIXè siècle.

Cependant la religion nouvelle ne s’implanta pas sans effort. En cette même année 1586, tous les prêtres de la campagne genevoise furent amenés, un jour, de force à l’Assemblée du Conseil. Une sentence de bannissement fut prononcée contre ceux qui n’embrasseraient pas la Réforme. La plupart s’y refusèrent, dit l’historien Ruchat,

Dans un certain nombre de villages, on ferma les yeux, pendant quelque temps, sur la célébration du culte catholique. Mais la constance des paysans irritait vivement Farel que l’humaniste hollandais dit être “ l’homme le plus menteur, le plus violent, le plus séditieux qu’il ait jamais vu ”. Le 24 mars de cette année 1536, il fit publier que la Messe était abolie et que nul ne devait être assez osé pour faire à la campagne ce qui était défendu en ville.

Un autre des premiers apôtres de la Réforme, Froment, établit la liste des bourgades et des châteaux-forts à saccager. Sans compter les églises et les presbytères, il indique le couvent de Nyon, les châteaux de Prangins, de Grilly, de Gex, de Peney, de Gaillard, de Jussy, de Bellerive, de Villette, de Choulex, etc., des maisons-fortes : à Viry, celle de de Simon, à Saint-Julien, celle de de Faucon et d’autres – le tout, au nom-bre de 120 à 140. L’historien Fazy va jusqu’à dire que cette ardeur de nivellement laisse bien loin derrière elle celle qui fut déployée en France, pendant la Révolution.

Cette fois, la région du Vuache fut préservée. Voici comment : Nægeli, chef de l’expédition bernoise, étant arrivé au Mont-Sion pour se diriger, de là, vers le bassin des Usses, apprit que le roi de France avait déclaré la guerre au duc de Savoie et que ses troupes marchaient sur Chambéry. Cette nouvelle lui inspira l’idée de rebrousser chemin pour ne pas s’exposer à une rencontre avec les Français. Il s’engagea dans la vallée du Rhône, puis dans celle du I.éman, pour continuer ses dévastations dans le Chablais. De distance en distance, il incendia les châteaux. Thonon fit sa soumission, le 2 février 1536. La Dranse fut le point d’arrêt.

Du reste, les habitants de la région du Vuache ne perdirent rien pour avoir attendu leur tour, pendant quelques années. En 1589, les Genevois – la politique a de ces volte-face –étaient alliés avec le roi de France, Henri III, contre le duc de Savoie. Un corps de leurs troupes se porta au fort de l’Ecluse. Trois assauts furent donnés et trois fois les Genevois furent repoussés. Mais ils rasèrent dans la région une vingtaine de châteaux, entre autres, ceux de la Perrière et d’Onex. Cette lutte prit fin au moment où Henri IV (1598) fit connaître à la France son retour à la foi de ses pères. A cette date, Valleiry ne fut pas inquiété parce qu’il était sous la domination protestante.

Cependant l’histoire raconte de Mgr de Granier, sacré vers la fin de 1579, dans l’église Saint-Dominique, à Annecy, prédécesseur de Saint-François de Sales sur le siège de Genève, que, traversant les bailliages de Ternier et de Gaillard. au cours d’une visite pastorale, une grand tristesse le saisit à la vue des ruines accumulées par la Réforme.

A la suite de négociations avec les Bernois et les Genevois, le duc de Savoie rentra en possession des bailliages de Thonon, Gaillard et Ternier : ce qui lui fut confirmé à Turin, le 16 mars 1601. On appelait alors bailliage une certaine étendue de pays sous la juridiction d’un gouverneur nommé bailli. Au XIVè siècle, avant l’annexion du Genevois et du Faucigny, les Etats de Savoie étaient divisés en huit bailliages.

L’affaire de l’Escalade (12 décembre 1602) fit perdre au Duc les avantages qu’il venait de récupérer. Le Traité de Saint-Julien qui fut l’épilogue de cette malheureuse équipée, rendit à Genève le Chablais, Gaillard et Ternier.

 

Le Protestantisme à Valleiry

Que se passait-il à Valleiry, au cours de cette période mouvementée de l’installation et des usurpations du Protestantisme ?

Moins bien défendu contre l’hérésie que d’autres paroisses de son voisinage, beaucoup plus difficile à préserver que Viry et Vulbens avec leurs seigneurs résidants, Valleiry fut une proie à portée de main, dès les premiers jours de la révolte. Le marquis de Challes et d’Oncieux avait bien des champs à La Joux et un pied-à-terre pour la chasse au village de Valleiry – une maison avec tourelle qui existe encore – mais il n’y résidait pas habituellement.

D’ailleurs, par leur traité avec Genève, les Bernois s’étaient réservé, dit Spon, le vidomnat si longtemps contesté entre les Comtes du Genevois et les Ducs de Savoie, avec les revenus de l’Evêché, du Chapitre de Saint-Pierre et du prieuré de Saint-Victor. Ils faisaient payer leurs services.

Valleiry étant un fief de Saint-Pierre, fut immédiatement visé et entraîné par les usurpateurs des droits de la Cathédrale – plus vite, certainement, que les paroisses soumises à un autre patronage.

Car c’est un fait assez commun que l’usurpateur s’empare tout d’abord, autant qu’il le peut, de tous les biens et droits qui appartiennent directement à l’usurpé. Il se met en son lieu et place. De plus, le Conseil de Genève avait décidé, dès 1535, de faire la saisie de tous les biens ecclésiastiques et de ceux des émigrés, au profit de l’Etat.

D’autre part, de tout temps, les personnages importants ont aimé à avoir, pour eux-mêmes ou pour leurs créatures, une résidence éventuelle hors de l’enceinte de leur domicile. L’air de la campagne est bon à respirer ; le travail n’y est pas sans répit. On peut s’y détendre les nerfs en des promenades agréables, s’y redonner des forces et s’y offrir, dans l’intimité, des réunions amicales.

Je n’ai pas su trouver le nom du Curé qui desservait Valleiry en 1536. Sans doute, il fut obligé de s’enfuir ou de se cacher pour faire place au pasteur nommé par Berne. Car, dès le début de la Réforme jusqu’au 22 juillet 1543, c’est Berne qui se réserva les nominations aux cures dépendant jadis du Chapitre de Saint-Pierre ou du Prieuré de Saint-Victor.

Cette réserve fut cependant abandonnée à Genève, dès 1543. Mais Berne exigeait que, même en ces paroisses-là, on se conformât à son enseignement, à ses coutumes, et malheur aux ministres qui enfreignaient ses ordres !

Du reste, soit parce qu’il y avait peut-être pénurie de pasteurs, soit parce que Chênex, était, au XVIè siècle, un peu plus important que Valleiry, notre paroisse fut parfois desservie par le pasteur bernois de Chênex et, d’autres fois, par celui de Chancy. Il n’y eut pas toujours de pasteur résidant à Valleiry.

D’autre part, sans doute simplement pour ne pas laisser prescrire son droit, nous voyons Mgr de Granier nommer, le 1er décembre 1589, à la cure de Valleiry, Etienne Jacquier, en même temps que Claude Delachenal à celle de Chênex.

Cette dernière paroisse, pas plus que celle de Valleiry, n’eut toujours un prêtre à demeure pendant toute cette période. Plus ou moins désorganisée au cours de la guerre de Genève alliée d’Henri III contre le Duc de Savoie, elle fut cependant reconstituée, après le traité du 16 mars 1601.

Lorsqu’elle avait un Curé, elle servait de refuge, le dimanche, aux Catholiques qui étaient demeurés, sur le territoire de Valleiry. Mais elle se trouva elle-même annexée provisoirement à Viry, par exemple, en 1618.

Une tradition locale rapporte que cinq familles de Valleiry restèrent fidèles à leur religion. Cette tradition désigne moins clairement le nom de ces familles préservées.

Si l’on consulte le premier Registre de Catholicité dressé aussitôt après la réconciliation de la paroisse, on voit paraître un nombre plus important. La visite épiscopale de 1768 témoigne de 260 âmes dont 150 communiants. Comment cinq familles seulement auraient-elles pu fournir ce contingent ?

Peut-être la tradition locale entend-elle parler de cinq familles importantes ou de cinq familles entièrement catholiques par leurs collatéraux, cousins et petits-cousins ?

Quoi qu’il en soit, voici les noms qu’on relève pu premier Registre de Catholicité, sans indication d’origine étrangère. Je les transcris par lettre alphabétique, étant donné que, de nos jours, tous ont le culte de l’égalité ! Ballet, Brunet, Chautemps, Chrétien qui s’écrivit d’abord Christin, Dunoyer, Favre, Lyonnaz, Major, Pégoux, Poncet, Rousselot, Saultier (ancienne orthographe), Tissot.

Presque la moitié de ces familles ont disparu de Valleiry ou se sont éteintes. En tout cas, c’étaient certainement les familles les plus anciennes du pays, puisque le plus ancien Registre de Catholicité ne leur donne pas une origine étrangère. Cependant l’on croit savoir qu’à cette date – le milieu du XVIIIè siècle – quelques-unes n’étaient pas à Valleiry depuis longtemps. Des papiers intimes pourraient probablement fournir quelques précisions.

A noter qu’il y eut deux familles Ballet, sans aucune parenté entre elles. La plus ancienne, à Valleiry, vint, dans la première moitié du XVIIIe siècle, de la vallée de la Valserine. L’un de cette famille, Jean-Marie, signe, le 19 juin 1757, au Registre de Catholicité, avec le curé d’alors, un acte d’abjuration, et à un autre, le 13 février 1763. Il était ce qu’on dirait de nos jours, Conseiller paroissial. Son frère ou son fils, François, signe, en 1768, au procès-verbal de la visite épiscopale faite par Mgr Biord. Une autre famille Ballet, vint de Thairy, en 1825, avec Jean-Marie qui épousa, à Valleiry, en 1859, Jacqueline Poncy, de Valleiry.

A la famille Favre se rapporte un curieux document : celui de l’acte de mariage, rédigé en 1727, par Nouvelle, notaire, de honorable Claude-François, fils de feu Joseph Favre, natif et habitant du bourg de Samoën (sic) en Faucigny, et de honorable Jeanne, fille de feu Jean Christin. native de Valleiry, paroisse de, Chênex. Cet acte de six pages d’écriture serrée précise l’apport de la fiancée en draps, serviettes, souliers, tabliers, mouchoirs, etc., parce que, écrit le notaire, il est de coutume au présent pays de Savoie que les femmes constituent dotte à leurs moyens pour leurs aider (leurs maris) a plus facilement supporter les charges du mariage.

Ces détails ne doivent pas nous faire oublier que la masse de la population de Valleiry, comme un troupeau sans défense, se laissa embrigader et recenser dans le Protestantisme.

Les offices de ce culte se faisaient dans la petite église démolie lors de la construction de l’actuelle. Il est resté de cette église la salle qui se trouve sous le clocher. Cette salle était le chœur de l’ancienne église devenue un temple. Les cordes des cloches étaient, là, à portée facile du sonneur. La porte principale d’entrée s’ouvrait du côté du couchant. Cette église était ainsi orientée – comme le désire la Liturgie – c’est-à-dire que l’endroit où l’on célébrait les offices était tourné vers l’Orient. C’était un petit édifice. Mais alors Valleiry comptait à peine 200 habitants.-- Les Catholiques fidèles se trouvaient bien désemparés.

Cependant il y a lieu de croire qu’ils n’étaient pas trop molestés par leurs compatriotes protestants ou par le pasteur lui-même. Car c’est un autre fait assez courant que, lorsque l’adversaire a le dessus d’une façon incontestée, il atténue son genre agressif. D’ailleurs, entre voisins, pour avoir la paix et vivre tranquilles, on se pardonne volontiers les divergences d’allure sur un terrain où l’on ne se rencontre pas. Les plus farouches savent souvent fermer les yeux sur ce dont ils ne veulent pas pour eux-mêmes ou ce qu’ils estiment le plus chez les autres, sans l’avouer ouvertement. Cela, jusqu’à un certain point toutefois ! Car il y a des jours où la colère peut se déchaîner.

------------

Le souvenir n’est pas resté de manifestations violentes entre les Catholiques de Valleiry.

La fameuse histoire des sorciers qui, après la recrudescence de la persécution protestante de 1585, ensanglanta la région, ne semble pas avoir touché quelque personne de la paroisse.

Puisque la parenthèse en est ouverte, disons un mot de ce lugubre épisode.

Un grand nombre d’hommes et surtout de femmes furent condamnés aux plus terribles tortures sur simple soupçon de sorcellerie, soit de relations avec le diable. S’ils avouaient, c’était la mort – souvent par le feu – comme il arriva à Domaine Bel, condamnée, le 23 juin 1609, à être brûlée, le lundi suivant, “ pour avoir confessé d’avoir tué plusieurs bêtes, même encore d’avoir mis les diables au corps de plusieurs ” : Tel fut le libellé de la sentence. C’est peut-être de cette époque que date l’expression savoyarde : “ Il a le diable au corps” pour indiquer quelqu’un qui ne paraît pas être maître de lui.

Le moins qu’avaient à subir ceux ou celles qui n’avouaient pas, c’était l’exil. Pernette Faucourt, après avoir été bannie deux fois, finit par être assommée à coups de pierre. Jeanne Vaxe, dite Juppé, est condamnée à être brûlée vive “ en Plain-Palais ”. Une autre, Marie Coulonges, dite Gribouria, est condamnée “ à être arquebusée par le bourreau ”.

Les médecins étaient souvent de connivence avec les juges pour pratiquer sur l’inculpé quelque marque qu’ils assuraient être diabolique. Ces marques supposées ou réelles nous reportent au temps du paganisme qui en pratiqua l’usage. L’Apocalypse (XIV, 9) parle de la marque de la bête sur le front ou dans la main.

Vers la fin de cette période, le crime de blasphème fut parfois relevé avec celui de sorcellerie. C’est ainsi que Catherine Carpsa, dite la Camilloda, pour avoir dit que “ le diable est plus fort que Dieu ”, fut condamnée à être visitée par un chirurgien et, au cas qu’elle soit marquée du diable, “ qu’elle soit pendue vendredi prochain pour le dit blasphème ”. (7'septembre 1615)

Remarquons que nos ancêtres ne se privaient pas de la manie des sobriquets accolés à un nom – souvent pour mettre en relief un défaut physique ou une tendance morale.

Cette épidémie de sorcellerie ou de prétendue sorcellerie avait existé à Genève et dans ses alentours, déjà au XVè siècle, alors que tous étaient catholiques. Mais il y eut, à cette date, beaucoup moins de victimes qu’au début du XVIIè siècle. On peut assurer, dit l’historien protestant Galiffe, que le nombre de ces autodafés n’était pas à beaucoup près, par année, sous les évêques, ce qu’il fut, par mois, on pourrait dire par semaine, sous le règne de Calvin ”.

Celui-ci était très dur à l’égard de ses contradicteurs. Le libre-penseur, Michel Servet, s’en aperçut. La cruauté, établie par le despote comme système, subsista aussi violente un siècle après sa mort. Les rigueurs de l’Inquisition n’approchent pas des indicibles tourments qu’endurèrent à Genève les malheureux accusés de commerce avec le diable.

Cette répression fut terrible surtout pour les petits, les humbles, les pauvres qui ne savaient pas se défendre ou s’expatrier volontairement.

D’autre part, comment expliquer qu’à deux extrémités de la France, les Pyrénées et la Bretagne, à la même époque, il y eut un grand nombre de procès de magiciens et de sorciers, selon que l’atteste la teneur de sentences portées par les tribunaux civils ? La région de Bayonne fut témoin d’un certain nombre d’exécutions capitales pour des motifs qui, sans doute, n’avaient souvent pas plus de consistance qu’à Genève. L’intervention des Pères de la Compagnie de Jésus finit par guérir en douceur et par la douceur ce mal étrange. En Bretagne, Michel le Nobletz et surtout le P. Maunoir firent beaucoup pour extirper la même épidémie morale.

Le démon aime à pêcher en eau trouble. C’est une parole de Saint François de Sales. Il exploite tous les malaises d’ordre politique ou religieux ou simplement intime pour se faire honorer et invoquer par les uns, redouter par les autres. Le droit chemin et la sécurité sont dans la confiance en Dieu et le recours, aussi fréquent que possible, à l’adversaire irréductible du démon, la Sainte Vierge Marie.

 

Lueur de Justice.

Valleiry ne fut donc pas trop impliqué dans cette bizarre et sanglante affaire des sorciers : du moins nous n’avons pas la preuve du fait. Valleiry était tranquille.

Mais la tranquillité n’est pas toujours pour le plus grand bien des âmes. On est condescendant, on est tolérant – selon l’expression populaire, on est “ bon enfant ”, et les principes s’estompent et la vérité diminue et la pratique religieuse s’étiole.

Des XL Heures furent célébrées à Thonon, entre le 21 septembre et le 9 novembre 1598. C’était vers la fin du ministère de l’Apôtre du Chablais. Onze personnes de Chênex y abjurèrent l’hérésie : Caille Claudine, Collomb Annette, Christin Jacqueline, Ferra Louis, Jeanne et Maurise, épouse de Jacques Ferra, Gentil Jeanne, Lambossy Claude, Olivier Guillaume, De la Ravoire Aymon et Andréanne.

L’historien Gonthier qui mentionne ces noms n’en cite pas de Valleiry.

Saint François de Sales avait accompli son oeuvre si merveilleuse de conversion sans avoir pu s’occuper de notre paroisse. On n’y signale, de son temps, pas le moindre retour religieux.

Le Calvinisme était, d’ailleurs, maître absolu à Genève, depuis 1542. Car Calvin, après en avoir été chassé, y était rentré définitivement, le 9 septembre 1541. Il n’y avait alors presque plus de Catholiques dans cette ville. On en comptait à peine 300 qui se cachaient avec soin,

Tout ce qui dépendait de Genève – par conséquent Valleiry – appartenait officiellement au Protestantisme. Le temps des grandes luttes et des âpres persécutions était passé : c’est vrai ! Il y avait une paix extérieure. Mais ce ne pouvait être la paix des consciences.

Il fallut un long siècle et demi pour qu’enfin parût une lueur de salut sur cette malheureuse cité. Cette lueur se manifesta par la volonté et la fermeté du Roi-Soleil.

Le 22 août 1662, Louis XIV avait ordonné la démolition de 23 temples protestants dans le pays de Gex et, en 1685, ce payse rentra dans le giron de l’Eglise. On a prétendu que Mgr d’Arenthon d’Alex s’était fait soutenir par les Dragons du roi de France pour amener à la conversion les Protestants de cette partie de son diocèse. L’évêque s’en est disculpé. Il affirma qu’il “ n’avait Jamais demandé de secours et qu’il ne le demanderait jamais”. Mais, au début de son épiscopat, à l’époque de la fermeture des temples, il avait approuvé les violentes mesures prises, en 1679, par M. Rouchu.

Parallèlement à son intervention dans le pays de Gex, Louis XIV exigeait l’ouverture d’une chapelle catholique à la résidence de son représentant à Genève. La première Messe y fut célébrée ostensiblement le 30 novembre 1679, et le culte y fut continué ensuite jusqu’à la Révolution française.

Les magistrats de la cité eurent beau prier le Résident, M. de Chauvigny, de “ faire l’Office à basse note, sans éclat, par son aumônier, seulement pour lui et ses gens de service, sans permettre l’entrée de la chapelle à qui que ce fût ”. Après en avoir référé au roi, M. de Chauvigny fut inébranlable. Il tint à ce que sa chapelle fut accessible à tous. Il l’orna et, s’il faut en croire l’historien Frémin, “ il y faisait officier comme dans une cathédrale ”.

Le successeur de M. de Chauvigny, M. Dupré (1680), qu’un citoyen de Genève appelait “ un catholique non bigot ” fut aussi irréductible que son prédécesseur. De son côté, le Conseil de la Ville continuait à se montrer hostile à cet exercice du culte catholique, prétendant (6 août 1685) que “ les Savoyards qui prenaient part aux réunions religieuses de sa chapelle étaient pour Genève des ennemis ”.

Cependant, sous le Résident d’Iberville, vers la fin du XVIIè siècle, le nombre des assistants à la Messe augmentait toujours. Dès lors, un état civil fut ouvert à la chapelle qui devenait ainsi le siège d’un commencement de paroisse catholique. Une seconde chapelle ayant été inaugurée dans l’hôtel de la Résidence sarde, on y créa aussi un état civil : une seconde paroisse se formait ainsi.

Le Sénat genevois avait fortement protesté, Mais ce fut un fait accompli. On savait déjà, en ce temps-là, que la liberté se prend et ne se demande pas à genoux.

D’autre part, le 25 février 1691, était bénite solennellement, en l’“ honneur de N.-D. des Sept-Douleurs, la première église de Chêne ”. La forteresse commençait à craquer.

Un prêtre très distingué, le chanoine de Pontverre, curé de Lancy, eut le courage et le bonheur de célébrer le Saint-Sacrifice dans une chapelle de sa paroisse, pour la première fois, à la mi-juin 1696. Cette petite chapelle fut incendiée. Il bâtit une église avec, au-dessus, une immense croix, en face de Genève. M. de Pontverre mourut curé de Confignon, le 3 juin 1733.

La conversion de Frémin, bourgeois de Genève, devenu prêtre, contribua beaucoup à faire éclater la vieille croûte de sectarisme dont le libre examen de Genève était recouvert. Frémin célébra sa première Messe à l’hôtel du Résident de France. Il fut Curé de Russin et ensuite de Pregny, où il eut la joie de recevoir plusieurs abjurations. Mais, comme plus tard, à Mgr Mermillod, il lui fut interdit d’entrer à Genève. Il mourut le 18 juin 1726 et fut inhumé dans l’église du Grand-Sacconex.

Malgré les obstacles soulevés par les gros personnages de la ville, le vent était à un modus vivendi. Il s’était établi un besoin, tout d’abord de tolérance, puis de liberté à accorder aux Catholiques. Ce fut, nous l’avons remarqué, pour une grande part, du fait que la France et ses Résidents successifs avaient exigé, pour eux et leur suite, la facilité de leur culte. Cette facilité s’étendit peu à peu aux habitants de la ville et de ses environs.

D’ailleurs, il se manifestait, chez quelques familles importantes, de la sympathie pour le catholicisme et pour les évêques en exil à Annecy, Ceux-ci, y compris Saint François de Sales, ne prirent évidemment jamais leur parti de l’abandon de leur résidence à Genève.

Mgr d’Arenthon d’Alex entretint des relations avec des Genevois de marque, cultiva, par lettres et des entrevues, ces relations en vue de son retour à Genève. Il écrivait un jour que “ par l’apaisement des consciences et par la résidence de l’Evêque ”, cette ville redeviendrait, en peu de temps, ce qu’elle avait été et mieux encore.

Sous l’épiscopat de Mgr de Rossillon de Bernex, né à Thônex, le 16 novembre 1657, il se produisit un essai sérieux de conciliation. Il y eut une nouvelle tentative en 1737. “ Alors, nous aurions dû agir, écrivait, plus tard, Mgr Biord, les dispositions de Genève semblaient favorables au libre exercice du culte catholique : nous avons laissé passer l’occasion ”.

A la date du 10 décembre 1765, le même Evêque crut que la bonne occasion se présentait de nouveau : il écrivit au Pape. Le Saint-Père, sans doute mieux informé, ne lui adressa pas de réponse. Comment mettre la vérité d’accord avec l’erreur ?

Sur un plan moins grandiose, après la période de luttes ardentes du XVIè siècle, quelques Curés du diocèse eurent des échanges de vues avec des pasteurs protestants. TeL Rd Vittoz, Curé de La Giettaz, dont parle le Rd P. Buffet dans sa Vie de Mgr Biord (p. 14). Tel aussi, précédemment, sous une autre forme, un très digne Curé de Cernex, François de Mandallaz, qui, à l’occasion de la peste qui sévit à Genève en 1543, écrivit une lettre très édifiante à “ MM. les Syndiques (sic), Conseillers, citoyens, bourgeois et habitants de Genève – le 9 août de cette année-là – les conjurant de revenir à la foi de leurs pères, aux processions et surtout à la très sacrée oblation du précieux Corps de notre Créateur et Rédempteur Jésus-Christ, leur disant d’espérer ainsi au Père des miséricordes et au Dieu de toute consolation ”.

Ces démarches et ces touchantes exhortations eurent un grand mérite devant, Dieu. Mais ceux qui, de nos jours, ont constaté le peu de succès réel des conversations de Malines ne s’étonnent pas de l’échec subi par les belles âmes du XVIIIè siècle...

Il n’y a pas de doute que le retour des hérétiques à la vraie foi soit un objectif poursuivi, de toutes leurs forces, par les chefs de l’Eglise et les meilleurs des fidèles. Par malheur, ce retour est plus difficile que la conversion des Païens. Il y faut du temps; il y faut des miracles de la grâce ; il y faut de grands Saints pour provoquer cette grâce et s’imposer aux récalcitrants.

Du reste, vers la fin de sa vie (lettre du 23 septembre 1783) – dit son historien, le Rd P. Buffet – Mgr Biord n’avait plus d’illusion, plus d’espoir de rentrer en possession de sa Cathédrale de Saint-Pierre.

Il est aisé de se méprendre sur les vraies intentions des hommes. Ce que l’on croit être un commencement de retour se résout en une expression de vague politesse – ou c’est le calme après la tempête, sans que le ciel soit éclairci !

L’hérésie, comme toute mauvaise situation morale, est capable de faux-fuyants. Elle paraît céder, s’incliner sous le poids de la vérité et, pour-des motifs humains, elle se ressaisit tout à coup, puis se raidit une fois de plus, dans un mouvement d’amour-propre assez naturel au cœur de l’homme. Si, alors, elle accorde une compensation de détail, ce pourra être au détriment des principes.

C’est ainsi que les tractations commencées, suspendues et reprises, aboutirent au fameux Edit de Pacification du 11 mars 1768. L’Evêque comprit qu’il ne fallait pas compter sur un arrangement global – du moins pour l’instant.

Tout de même la vitalité et les droits du Catholicisme s’étaient affirmés. C’était quelque chose. On voyait poindre l’aurore de jours meilleurs.

Le Protestantisme avait supprimé les sept paroisses de la ville. Elles restèrent supprimées jusqu’en 1802, date à laquelle Saint-Germain fut rétabli. Le Concordat du 15 juillet 1801 entre Bonaparte et Pie VII eut son effet à Genève devenue provisoirement française. Les magistrats furent mis dans l’obligation de céder un temple aux Catholiques pour le libre exercice de leur culte. Ce temple fut précisément l’église Saint-Germain.

La Révolution avait donc contribué à bouleverser l’intolérance mômière. Les Autrichiens, en 1814, par la grandiose manifestation de la célébration d’une Messe solennelle dans la plaine de Plain palais, lui donnèrent le coup décisif.

Les traités de 1815 constituèrent Genève comme Canton suisse et, par l’adjonction d’un certain nombre de Communes catholiques en firent un pays de religion mixte.

Du reste, ni les promesses ni les menaces ne purent entamer cette part importante de fidèles. Il se trouvait alors, à Genève, un chef, M. Vuarin, au sujet duquel le Pape sollicité de lui donner la mitre, dit un jour : “ Il m’est plus facile d’avoir des Evêques qu’un Curé, à Genève, de la taille de M. Vuarin ”.

Mais n’anticipons pas trop. Du reste, si nous avons empiété sur l’ histoire de notre si hospitalière et si élégante cité voisine, c’est pour essayer de mieux saisir la portée des détails qui concernent notre région et notre paroisse.

----------

Le Traité de Turin.

Le roi de Sardaigne et duc de Savoie, Charles-Emmanuel III, avait agi, de son côté, par voie diplomatique. Il avait le droit de dégager ses Etats de l’influence protestante. N’était-ce pas une anomalie de conserver, tels quels, ces trois îlots d’hérésie : Neydens, Bossey et Valleiry qui se trouvaient, en réalité, sous l’influence directe de Genève et par lesquels il pouvait être desservi, en temps de guerre, sinon en temps de paix ?

A la suite d’hostilités contre l’Infant Dom Philippe d’Espagne qui avait envahi la Savoie, le 2 septembre 1742, le traité d’Aix-la-Chapelle (janvier 1743) avait assuré tout le territoire de la Savoie à son légitime souverain. Tranquille, d’autre part, au sujet de ses possessions d’au-delà des Monts, le roi, par l’intermédiaire du baron de Montailleur, Conseiller d’Etat, entra en négociations avec la République de Genève, dont, disent les Protestants, “ ses ancêtres n’avaient jamais voulu reconnaître sincèrement l’indépendance, contre laquelle ils n’avaient cessé de montrer une violente animosité ”. – Note communiquée par M. Falcy.

Le traité de Turin du 3 juin 1754 mit fin à cette situation perpétuellement tendue. Charles-Emmanuel abandonnait toutes ses prétentions sur Genève et sa banlieue. Il cédait à cette République la rive gauche de l’Arve, depuis Carouge jusqu’au Rhône et l’entière souveraineté sur Chaney, Cartigny, Epeisse, la Petite-Grave et Passeiry. De son côté, Genève se retirait complètement des anciennes terres du Chapitre de Saint-Pierre et du Prieuré de Saint-Victor, notamment de Neydens, Bossey et Valleiry. Les clauses de ce traité s’apparentaient avec celles de la célèbre Paix d’Augsbourg (25 septembre 1555) qui régit le droit politique et religieux de l’Allemagne jusqu’à la guerre de Trente Ans (1618-1648).

Les dissidents religieux étaient invités à quitter le pays, sans perdre leurs biens. Le roi leur faisait savoir son droit à les expulser, sans confisquer ces biens. Après 25 ans révolus de pleine tolérance, ils devaient donc ou sortir des Etats de Savoie, sans être spoliés, ou embrasser la religion catholique.

Il n’y avait rien de draconien dans ces dispositions qui, par ailleurs, comportaient des avantages sérieux pour Genève. Pas de dragonnades ! Pas de persécution ! Un simple arrangement avec la citadelle du Calvinisme!

Les brimades hitlériennes en Pologne et ailleurs font envier ce temps où l’on pratiquait la charité envers les personnes, tout en favorisant la vérité ! Lorsque les Chanoines de Saint-Pierre. avec leur Evêque, crurent devoir quitter Genève et surtout lorsque les pauvres Clarisses (31 août 1535) vinrent se réfugier au manoir de la Perrière, chez le Comte Michel de Viry, cousin de leur Supérieure, ce fut un branle-bas autrement précipité que celui des Protestants de Valleiry.

Le sort de ceux-ci se dessina sous le signe de la paix et du respect de la personne humaine. On ne les obligeait ni à se convertir ni à se pervertir davantage. On leur disait simplement : “ Réfléchissez ! Si vous tenez à ce pays, soyez soumis à ses lois intérieures et prêtez le serment de fidélité à son prince. Si, au contraire, votre idéal religieux et politique est ailleurs, n’est pas conforme au besoin de l’unité nécessaire à la Savoie, vous avez la facilité de suivre cet idéal aux portes mêmes de la résidence que vous abandonnerez, de façon que vos intérêts matériels ne soient point lésés. ”

Les protestants de Valleiry qui ne consentirent pas à revenir à la foi de leurs pères purent donc vendre, louer leurs terres ou les conserver.

La plupart, plutôt que de prêter le serment de fidélité demandé, à Saint-Julien, le 28 octobre 1754, se rendirent à Chancy, à 4 kilomètres environ de Valleiry. C’est pourquoi, jusqu’au début du XXè siècle, quelques Protestants de cette commune de la Suisse touchaient des redevances de propriétés situées à Valleiry, venant de leurs ancêtres. D’autres continuèrent à cultiver, sur ce sol savoyard, des lopins de vigne dont le rapport leur paraissait intéressant.

 

 

 

[Mon Village] [Histoire] [Geographie] [Racines] [Mémoire] [Documents] [Valleiry]